Tout d’abord il faut savoir que réussir à croiser une manifestation à Tokyo est quasiment aussi rare que de croiser une geisha à Akihabara… c’est dire
!
La MANIFESTATION est une activité qui se pratique le week-end, de préférence le dimanche: pour être sûr qu’un maximum de monde sera disponible, et pour ne pas trop perturber le flux des travailleurs.
Naturellement les manifestations ne concernent aucunement des revendications salariales (il faudrait en avoir l’idée, et si cela se faisait les participants risqueraient de ne pas retrouver leur bureau en retournant travailler le lundi) et encore moins politiques (il faudrait qu’elle soit un peu présente à la télé pour ça).
Un bon thème de manifestation sera donc “sauvons la planête” ou encore (comme celle d’aujourd’hui) “arrêtons les guerres”:

Comme vous pourrez le constater en zoomant sur ce premier cliché, si dans nos contrées la manifestation est plutôt un sport de jeunes (fougueux et dynamiques) ou d’actifs (révoltés et exaspérés) ici ce sont plutôt les retraités qui s’y collent: au moins ils n’ont plus à courir le week-end de manière frénétique et aveugle en quête d’amusement, de dépaysement, ou de produits de consommation toujours plus modernes et plus nouveaux, tout cela pour oublier une semaine de travail chargée et stressante ou des études qui ne laissent que peu (et surtout prou) de place à l’échec…
Naturellement, pas question d’interrompre la circulation: un petit couloir est aménagé pour les manifestants, entre le trottoir et les voitures, bien canalisé:


Et on attend bien sagement au feu:

Fi maintenant de mon humour baveux et fielleux de français à 2 balles.. heureusement que le troisième âge est ici dynamique (tant physiquement qu’intellectuellement) pour défendre certaines valeurs que les plus jeunes peuvent difficilement se permettre, car les retraités n’ont plus de comptes à rendre à personne: il faut savoir qu’au Japon lorsqu’on se fait arrêter pour une quelconque raison, les premières personnes à être mises au courant sont souvent l’entreprise (le patron) ou l’école (si on y est encore).
Dans une société où le travail est la valeur n°1, où la pression sociale est si forte et où le taux de suicide tant des actifs que des jeunes (collégiens, lycéens, étudiants..), généralement pour cause d’échec, est l’un des plus important au monde, dur d’être motivé pour aller jouer son rebelle dans la rue! L’information reportée au dossier scolaire pourra être le point qui vous fermera l’accès à l’université que vous visez. Et une fois salaryman… cela pourra être le point qui vous fera mal voir par vos supérieurs et qui fera que votre collègue sera choisi plutôt que vous pour une promotion.
De plus, comme je l’ai déjà mentionné, il faut déjà un mouvement, une certaine information sur les causes de rebellion que l’on pourrait avoir… raisons que l’on ne trouvera jamais à la télévision et bien peu dans les journaux, contrairement à chez nous où les débats et avis divergents sont profusion, et où nous sommes (extrème inverse) plutôt gavés d’informations politiques et mondiales qu’en pénurie.

Et j’en reviens donc à mon 3ème âge, qui en plus de son expérience de la vie n’a plus de compte à rendre à personne. De plus, la règle du respect des aînés fait qu’ils sont beaucoup plus à même de gueuler sur un policier -qui s’écrasera- qu’un jeune
.
Vous aurez donc compris que les personnes les plus courageuses sont donc les jeunes et surtout les actifs qui s’impliquent quand même dans un mouvement contestataire… et qui en paient parfois lourdement le prix au point de perdre leur emploi et de ne plus pouvoir en retrouver nulle part, à l’image de ces enseignantes emblématiques, Mme Nezu et Mme Kawaraï, qui refusent de faire des cours d’histoire révisionnistes à leurs élèves (révisionnisme concernant surtout les atrocités japonaises dans les guerres passées, tout particulièrement contre la Chine, ou encore concernant les “femmes de réconfort” qui étaient “fournies” par le gouvernement japonais “de leur plein gré” aux soldats, etc.) et naturellement des gens et des parents qui ont le courage de les soutenir.
Si vous vous intéressez un tant soit peu au Japon, je vous conseille très fortement de lire cet article qui résume bien la situation sur ce problème d’enseignement, à rechercher sur google les noms des ces deux enseignantes qui ne sont pas les seules mais les plus sanctionnées et donc symboliques, et à regarder un film documentaire qui a été réalisé dessus: Against coercion.
En conclusion… tout espoir n’est pas perdu, la relève est là!:
…et malgré ma phrase humoristique, malgré le fait qu’il y ait peu de chance que ces deux jeunes se fassent arrêter (ah oui, j’ai oublié de préciser que pour encadrer cette manifestation il y avait plusieurs cars de CRS, des policiers partout à pied en voiture et à moto et un hélicoptère!)… et malgré le fait que le sujet de cette manifestation soit vraiment très très très polémique (”arrêter les guerres”)… ce sont les plus méritants et courageux (même s’ils ne s’en rendent peut-être pas compte)! Je les salue bien bas.
Je vous dis maintenant à bientôt, et allez voir les liens ci-dessus!
post-scriptum: coercition